Le pavé de 140 grammes est élaboré en accumulant des milliers de fines lamelles de tissu musculaire produites in vitro, explique l’Independent. L’homme derrière cet événement médiatique est le biologiste néerlandais Mark Post, de l’université de Maastricht. Ce physicien de formation s’inspire de techniques connues et utilisées depuis des années pour reconstruire en laboratoire des organes ou des tissus humains en vue de greffes.
Mark Post et son équipe ne sont pas les seuls dans le monde à explorer la voie de la viande synthétique – à ne pas confondre avec les produits végétariens imitant l’aspect de la viande mais contenant en réalité des végétaux comme du soja. Les chercheurs hollandais et américains mettent en avant l’intérêt d’une méthode qui se substituerait à l’élevage traditionnel, dont on sait qu’il requiert énormément d’eau, d’espace, de végétaux et dégage beaucoup de CO2, pour un faible rendement en protéines.
Hormones et produits de croissance
Pour constituer ce morceau de viande, Mark Post est parti de cellules-souches prélevées sur le cou d’une vache. La production de tissu prend seulement quelques jours dans un milieu de culture comprenant des acides aminés, des vitamines, du sucre, mais aussi des facteurs de croissance, des hormones et du sérum fœtal de veau.
À l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), Jean-François Hocquette, directeur de recherche spécialisé dans les herbivores, rappelle que la production de tissus musculaires à partir de cellules-souches de bovins est une technique maîtrisée depuis des années. Ce qui distingue Mark Post, c’est son projet de passer d’une production de laboratoire à une échelle industrielle. «Personne n’y est encore parvenu, indique l’expert français au Figaro. Cela nécessiterait des incubateurs géants qui n’existent pas encore».
Une question de goût
Par ailleurs, à supposer que le défi technologique soit un jour relevé – Mark Post a annoncé une commercialisation d’ici 5 à 10 ans – le succès de ces produits auprès des consommateurs n’est pas acquis, notamment parce que la viande synthétique cumule deux handicaps. D’abord, elle est artificielle. «Or les consommateurs européens ont déjà du mal avec les OGM. Alors que dire si on leur propose de la viande artificielle élevée aux hormones et au sérum fœtal de veau, un produit que l’on connaît mal», explique-t-il.
Par ailleurs, nul ne connaît pour l’instant la valeur gustative de ce steak à 290.000 euros. En effet, la matière produite en laboratoire et qui sera servie à Londres est «du muscle, pas de la viande», rappelle Jean-Français Hocquette. «La viande résulte d’un processus particulier: quand on abat un animal, la chair prend une rigidité cadavérique puis le pH évolue naturellement, déclenchant l’action d’enzymes qui attendrissent la viande». C’est pourquoi les bouchers professionnels font toujours maturer la viande, souvent pendant deux semaines. En outre, le muscle qui finira dans notre assiette ne contient en réalité pas uniquement des cellules musculaires. On y trouve également des nerfs, du collagène et du gras, à l’intérieur et à l’extérieur. Autant d’éléments qui ont un impact certain sur le goût et expliquent la différence des saveurs entre la bavette, l’entrecôte et le rôti de bœuf.
Enfin, l’argument principal de Mark Post, à savoir le gain écologique d’une production de viande en laboratoire, bien que documenté dans des études scientifiques, laisse l’expert de l’Inra dubitatif. «Les laboratoires géants nécessaires à la production industrielle vont nécessiter de l’eau, et des énergies fossiles pour les faire fonctionner», rappelle-t-il. Selon lui, une meilleure solution pour réduire l’impact environnemental de l’élevage consisterait à diminuer la consommation de viande dans les pays développés, où elle est élevée, en la remplaçant par des protéines végétales.