Faut-il saigner un malade et le réfrigérer à 10°C pour tenter de le sauver?
C’est un essai médical sans précédent qui vient de commencer dans le service de réanimation chirurgicale du Presbyterian Hospital de Pittsburgh. Avec l’aval de la Food and Drug Administration (FDA), il concernera, dans un premier temps, dix personnes ayant perdu de grandes quantité de sang après une blessure traumatique, dont on va faire plonger radicalement la température corporelle en remplaçant le sang par une solution saline.
Cet essai est mené sous la direction du Dr Samuel Tisherman, déjà connu pour des travaux spectaculaires dans le domaine de l’hypothermie thérapeutique. Il s’agit là d’une technique mise au point dans les années 1950 mais qui n’a commencé à susciter un véritable intérêt que depuis une quinzaine d’années: dans sa version «modérée», son principe est de faire baisser la température corporelle du malade (entre 32 à 34°C pendant 12 à 24 heures) de manière à obtenir une baisse du métabolisme cérébral et une protection de l’intégrité du cerveau.
Son emploi est devenu systématique dans de nombreuses situations. Plusieurs techniques de refroidissement sont à la disposition des réanimateurs, mais la plus utilisée demeure le refroidissement externe, plus ou moins associé à un remplissage vasculaire avec des solutés refroidis.
Méthode testée sur des cochons
C’est une variante nettement plus agressive qui, pour la première fois chez l’homme, va être expérimentée à Pittsburg. Les responsables de l’essai ont exposé leur protocole expérimental au magazine New Scientist: ils vont ralentir par le froid le métabolisme cellulaire de patients dans un état critique suite à une blessure par balle ou par arme blanche en remplaçant intégralement leur sang par une solution saline.
Au cours de cet essai, nommé «Emergency Preservation and Resuscitation for Cardiac Arrest from Trauma (EPR-CAT)», dix patients admis aux urgences verront donc leur température corporelle abaissée à 10°C, réduisant leurs besoins en oxygène et donnant ainsi un peu plus de temps aux urgentistes pour traiter leurs lésions avant mort cérébrale.
«Les artères coronaires de chaque patient seront clampées, et un cathéter sera posé dans l’aorte pour injecter une solution saline. Le seuil de 10°C de température corporelle devrait alors être atteint en environ 15 minutes. À ce stade, le patient sera cliniquement mort, précise Le Quotidien du Médecin. Les chirurgiens disposeront ensuite de deux heures pour soigner la blessure, puis le corps du patient sera reperfusé avec du sang chauffé. Les bilans cliniques de ces dix patients seront ensuite comparés à ceux de dix autres, admis dans les mêmes conditions mais qui n’auront pas bénéficié de la technique EPR. Cette dernière sera adaptée en fonction des premiers résultats obtenus, puis des nouvelles séries de dix patients seront recrutées jusqu’à ce que les résultats à analyser soient suffisants.»
Le Dr Tisherman est un des pères de la méthode EPR, qu’il a déjà expérimentée chez l’animal avec le Dr Peter Rhee. Leurs premiers travaux, publiés dans la revue Surgery en 2002, avaient été menés sur des porcs du Yorkshire anesthésiés qui avaient été saignés pour simuler une forte perte de sang consécutive à une blessure. Leur sang avait ensuite été remplacé par une solution saline froide ou une solution de potassium.
Une fois leurs blessures refermées, les animaux étaient progressivement réchauffés et leur système sanguin de nouveau irrigué normalement. Au total, les animaux avaient passé 60 minutes en hypothermie. Six semaines plus tard, ceux qui avaient survécus ne présentaient pas de troubles neurologiques et leurs fonctions cognitives semblaient intactes.
Pas de consentement écrit
A Pittsburgh, les dix premiers patients seront sélectionnés selon des critères bien précis: ils devront avoir perdu environ la moitié de leur volume sanguin au moment de leur arrivée aux urgences et être victimes d’une blessure thoracique. Selon les coordinateurs de l’étude, les urgences de l’hôpital reçoivent ce genre de patient environ une fois par mois et leurs chances de survie sont de moins de 7%.
La FDA a considéré que, dans de tels cas, l’absence d’alternative thérapeutique pouvait dispenser les expérimentateurs de consentements écrits. Un dispositif a été mis en place pour que des personnes puissent préalablement s’opposer à être incluses, le cas échéant, dans cet essai.
Cette approche thérapeutique est à très haut risque compte tenu de la température à laquelle le corps se situera et dans la mesure où les tissus (notamment cérébraux) ne seront plus irrigués par du sang. Ceci pourrait d’ailleurs conduire à une redéfinition des critères de la mort, aujourd’hui basés sur l’absence de circulation sanguine et d’activité électrique du cerveau.
La vie sera ici, dans le meilleur des cas, comme «suspendue». Une formule que ne retient pas le Dr Tisherman: il estime que cela pourrait conférer une fâcheuse dimension «science-fiction» à son expérimentation médicale, expérimentation qui n’a rien de commun avec la cryogénisation et les fantasmes de retour à la vie après la mort.
Jean-Yves Nau
Partagez sur