Le patient zéro du sida n’est pas celui qu’on croit
Gaëtan Dugas, un steward homosexuel canadien qui multipliait les conquêtes, était considéré jusqu’ici comme la première personne infectée par le VIH. Des recherches récentes balayent cette thèse.
La fin d’un mythe ? En tout cas, le fameux patient zéro dans la pandémie de sida n’est plus tout à fait celui que l’on croyait. Gaëtan Dugas, steward de son état, occupait en effet cette place à part. Homosexuel, ce jeune homme voyageait beaucoup, commissaire de bord pour Air Canada. Et pendant trente ans, il a été considéré comme le «patient zéro» du sida, c’est-à-dire la première personne infectée, supposée à la source de l’infection parmi une population particulière du nord-est des Etats-Unis, axée autour de New York. Cette hypothèse avait pris corps autour d’une étude épidémiologique en 1984, menée alors par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies d’Atlanta.
Et voilà donc que tout s’effondre. Ou presque. Une nouvelle étude génétique, rendue publique à la Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections (CROI) à Boston (Etats-Unis), ébrèche l’histoire. C’est, en tout cas, un très beau travail, effectué par Michael Worobey, biologiste moléculaire à l’université d’Arizona à Tucson. Celui-ci a analysé la séquence génétique de souches virales présentes dans des échantillons sanguins collectés en 1978 et 1979 chez des homosexuels à San Francisco et New York. Ces séquences ont été ensuite comparées à celle du virus contenu dans un échantillon sanguin de Gaëtan Dugas. Et peu à peu, grâce aux incroyables progrès des techniques de biologie moléculaire, le fil a pu se dérouler.
Le virus du sida se modifie légèrement, on le sait, chaque fois qu’il se reproduit. Globalement, l’épidémie américaine de sida remonte aux années 70 pour New York, le virus atteignant ensuite San Francisco.«Dans l’arbre phylogénétique des premiers isolats viraux américains, le génome viral de Gaëtan Dugas se situe entre les deux. Le génome du VIH qu’il hébergeait est proche de celui de souches virales qui circulaient à Haïti, où il s’était rendu en 1977», révèle le travail de Michael Worobey.
«Les amants étaient comme les bronzages pour lui»
Gaëtan Dugas n’est donc pas le patient zéro. Dans l’histoire du sida, sa place avait aussi beaucoup tenu au livre And the Band Played on de Randy Shilts, journaliste au San Francisco Chronicle, livre paru en 1987 sur les premières années de l’épidémie et sur la riposte des communautés. Gaëtan Dugas était alors devenu une image de cette épidémie. Il était magnifique et il avait 29 ans quand il apprit qu’il était atteint du sida. Ce jeune Canadien avait un succès fou, multipliant les aventures, en particulier aux Etats-Unis.
Selon l’enquête de Randy Shilts, Gaëtan Dugas a directement transmis le virus du sida à au moins 40 des 248 personnes diagnostiquées aux Etats-Unis avant 1982. On l’a retrouvé aussi chez 9 des 19 premiers cas de Los Angeles, chez 22 des malades new-yorkais et chez 9 autres malades disséminés dans huit autres villes : Miami, Chicago, etc. On estime ainsi qu’il avait plus de 250 partenaires par an. «Les amants étaient comme les bronzages pour lui : magnifiques les premiers jours, puis fades»,raconte Randy Shilts.
«J’ai le cancer homo, je vais en mourir. Toi peut-être aussi…»
Atteint en juin 1980 d’un sarcome de Kaposi, identifié en novembre 1982 comme porteur et prévenu du risque qu’il faisait courir à ses partenaires, l’histoire veut que Dugas ne voulut pas changer de façon de vivre. Jusqu’à sa mort, le 30 mars 1984, à l’âge de 31 ans, il eut des rapports sexuels non protégés. Il avisait ses partenaires après le passage à l’acte. Il avait pris l’habitude de leur dire : «J’ai le cancer homo, je vais en mourir. Toi peut-être aussi…» Certains ont regretté, d’ailleurs, sa médiatisation, son histoire pouvant être interprétée comme l’exemple même de l’inconscience des gays qui ne se protégeaient pas.
Voir ci-dessus une intervention de Gaëtan Dugas (à partir de 6’51”)
Quant à l’histoire plus générale, on le sait : l’épidémie n’est pas née aux Etats-Unis, mais bel et bien en Afrique centrale, entre le Cameroun et la République démocratique du Congo. Si l’on peut parler de «patient zéro», il n’est donc pas Américain mais Africain. Apparu en Afrique centrale, le virus a voyagé ensuite d’un continent à l’autre. Il aurait été introduit en Haïti à partir de l’Afrique centrale en 1966, puis de Haïti à l’Amérique du Nord en 1972, et enfin d’Amérique du Nord à l’Europe à la fin des années 70, début des années 80.
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