Attention à la prise soutenue d’ibuprofène chez l’homme
Une étude récente menée par des chercheurs de l’Inserm au sein de l’Irset[1] montre que la prise soutenue d’ibuprofène induit chez de jeunes hommes sportifs un déséquilibre hormonal habituellement rencontré chez l’homme âgé et appelé « hypogonadisme compensé ». Cette situation résulte des effets négatifs de l’ibuprofène sur la production de testostérone, et sur la production de deux autres hormones testiculaires. Ces résultats sont publiés dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
L’ibuprofène, que l’on peut acheter sans ordonnance, est un des médicaments les plus consommés dans la population. Cet antalgique anti-inflammatoire est utilisé notamment dans le cas de maux de tête et de dents, de douleurs chroniques, d’états grippaux, de fièvre, ainsi que dans le cadre de certaines maladies rhumatismales. En outre, de nombreuses études indiquent que l’ibuprofène est utilisé massivement par les athlètes, souvent en automédication ou sous la pression de leur entourage professionnel. Cette nouvelle étude de chercheurs de l’Inserm, qui ont déjà montré les effets délétères potentiels de l’aspirine et du paracétamol sur le testicule adulte humain[2] et de l’ibuprofène sur le développement testiculaire pendant la grossesse[3], avec l’appui des collègues du CHU de Rennes, de David Møberg Kristensen et ses collègues danois, et de chercheurs du LABERCA de Nantes, articule de façon jusqu’alors inédite :
– Un essai clinique impliquant 31 hommes volontaires sportifs âgés de 18 à 35 ans dont la moitié a pris de l’ibuprofène;– Des cultures de fragments de testicules humains exposés à l’ibuprofène et issus de prélèvements liés à des actions thérapeutiques ou au don d’organe;
– Et des cultures d’une lignée immortalisée de cellules humaines.
Les conclusions de l’essai clinique montrent que, lorsque les hommes ont été exposés à l’ibuprofène, les niveaux d’hormone hypophysaire appelée l’hormone lutéinisante (LH) s’élèvent fortement, cette hormone jouant un rôle clé dans le contrôle de la production de testostérone. Cette élévation s’avère résulter d’effets négatifs directs de l’ibuprofène sur l’expression des gènes codant pour plusieurs enzymes responsables de la stéroïdogenèse dont la testostérone est issue.
De plus, grâce aux travaux menés ex vivo et in vitro, des effets directs sur la production de testostérone ont pu être mis en avant. L’ibuprofène s’avère inhiber une hormone produite par les cellules de Sertoli – l’inhibine B – qui est responsable de la régulation de l’hormone folliculo-stimulante (FSH).
En outre, la production d’hormone anti-mullérienne par les cellules de Sertoli est elle aussi inhibée, tant chez les volontaires exposés à l’ibuprofène, que dans les cultures de fragments de testicules humains.
Enfin, la production des prostaglandines testiculaires est bloquée par l’ibuprofène lors des tests menés ex vivo et in vitro.
Au total, cette étude démontre que la prise prolongée à des doses importantes d’ibuprofène (1200 mg/jour pendant 6 semaines) exerce chez les jeunes hommes des effets perturbateurs endocriniens sévères conduisant à un état appelé « hypogonadisme compensé ». Cet état habituellement rencontré chez environ 10% des hommes âgés, est généralement associé à des risques accrus pour la santé reproductive, comme pour la santé en général.
Pour Bernard Jégou, directeur de recherche à l’Inserm et directeur de la recherche de l’école des hautes études en santé publique, qui est le coordinateur de cette étude, ainsi que pour Christèle Desdoits-Lethimonier, ingénieure de recherche de l’université de Rennes 1, qui est co-première auteure, les conclusions de ce travail sont à prendre au sérieux : » il existe des sous-populations d’hommes qui prennent de façon continue de l’ibuprofène, notamment des hommes ne souffrant d’aucune maladie chronique comme des athlètes de haut niveau. Si cet état d’hypogonadisme compensé s’installe, le risque pour eux est d’accroître les risques déjà liés à ce médicament, mais aussi d’altérer leur condition physique (muscles et os), d’hypothéquer leur santé reproductive et même psychologique. »
[1] Irset : Institut de recherche en santé environnement, santé et travail
[2] Albert O, Desdoits-Lethimonier C, Lesne L, Legrand A, Guille F, Bensalah K, Dejucq-Rainsford N, Jegou B (2013) Paracetamol, aspirin and indomethacin display endocrine disrupting properties in the adult human testis in vitro. Hum Reprod 28(7):1890–1898.
[3] http://presse.inserm.fr/attention-a-la-prise-dibuprofene-pendant-la-grossesse/27524/
Partagez sur