Demain, vous mourrez: avez-vous rédigé vos «directives anticipées»?
Il n’y aurait pas d’affaire Vincent Lambert si cet homme de 38 ans (tétraplégique en situation de conscience minime depuis cinq ans) avait rédigé ses «directives anticipées». Au-delà de ce cas, la plupart des drames et des tragédies de la fin de vie seraient prévenus si ce droit offert était exercé. Or ce droit, personne ou presque ne le connaît en France. «Tout se passe comme si on ne voulait pas en connaître l’existence, explique à Slate.fr le Pr Régis Aubry (CHU de Besançon), président de l’Observatoire national de la fin de vie. C’est moins un problème d’information que d’appropriation dans une société où le jeunisme est roi.»
«Directives anticipées»? Il s’agit de l’expression écrite de souhaits exprimés pouvant aider des personnes devenues malades à «participer sans être présents» aux discussions qui précèdent les décisions relatives aux soins et traitements qui leur sont dispensés en fin de vie. De l’avis des spécialistes, il s’agit ici de la méthode reflétant le plus directement la volonté de la personne concernée –du moins au moment où ces souhaits ont été rédigés.
La loi Leonetti et le Code de la santé publique disposent ainsi depuis 2005:
«Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment.
En dépit de l’importance du sujet et de la médiatisation considérable des affaires de fin de vie, ce droit n’est pratiquement jamais exercé. «L’utilisation des directives anticipées demeure très confidentielle: selon une étude récente de l’Ined, elles ne concernent que 1,8% des patients pour lesquels une décision de fin de vie a été prise alors qu’ils n’étaient “plus en capacité de participer à la décision”, observe le Comité national d’éthique (CCNE) dans son avis n°121 de juin 2013. Cela pose très clairement la question de l’appropriation de cette pratique, à la fois par les patients et par les professionnels de santé.»
» Les réponses aux principales questions pratiques des «directives anticipées» sont disponibles sur le site du ministère de la Santé. Un formulaire-type est disponible ici.
Quelles sont les difficultés avancées? La première réside dans le document lui-même. Quelle est la valeur de directives rédigées alors que la personne, ayant toutes ses capacités, n’est pas entrée (ou entre à peine) dans la maladie? Comment affirmer que ce qui est dit et écrit en amont de la souffrance sera encore vrai quant les souffrances, l’inconscience, seront là?
L’épineux problème de la durée de la validité des directives
Se pose aussi la question de la durée de la validité de ces directives, actuellement limitée à trois années –et la question des modalités de leur réitération éventuelle.
«Le renouvellement périodique et une durée de validité limitée permettent de rester proche de la réalité, observe le CCNE. Toutefois, dans les affections comme la maladie d’Alzheimer, au cours desquelles l’altération des capacités cognitives de la personne peut être lente et aller en s’aggravant, il faut pouvoir se référer à des déclarations exprimées très en amont, avant que la situation cognitive du patient ne se soit détériorée, le mettant dans l’impossibilité de réitérer valablement sa volonté.»
Si les déclarations anticipées indiquent la volonté de la personne au moment de leur rédaction, elles ne préjugent pas de l’évolution de cette volonté au cours de l’évolution de la maladie –évolution régulièrement constatée chez les personnes restant capables de l’exprimer.
«Or, souligne le CCNE, plus la personne malade se rapproche de la fin de sa vie, plus on observe qu’elle est susceptible de changer d’avis et de réviser ses directives anticipées. En tout état de cause, le caractère révocable des directives anticipées est admis par tous.»
Autre question pratique: comment faire pour que ces directives soient aisément accessibles, en temps utile, pour le médecin? Pourquoi ne pas avoir prévu le lieu et les modalités de leur conservation? Doit-on les confier à son médecin traitant? A la «personne de confiance»? Les intégrer à un (toujours fantomatique) «dossier médical personnel informatisé»? Les enregistrer dans un registre national informatisé comme le sont les oppositions au don d’organe? Le législateur n’est pas allé jusqu’à s’intéresser à ces questions pratiques. Et personne à sa suite ne semble s’être intéressé à ce sujet.
L’autre grande question connexe, à la fois pratique et juridique, est celle de savoir si la «déclaration anticipée de volonté» doit être juridiquement contraignante au moment où se pose la question d’un risque d’obstination déraisonnable.
Dans certains pays, les directives anticipées s’imposent au médecin et font porter la responsabilité de la décision sur la personne malade; elles n’y sont pas nécessairement plus répandues pour autant. Dans d’autres pays (comme en France), ces directives n’ont pas de force obligatoire pour le médecin. Dès lors, elles ne sont considérées que comme une indication des souhaits de la personne au moment de leur rédaction. Le médecin conserve ainsi un pouvoir d’appréciation au regard de la situation concrète et de l’éventuelle évolution des connaissances médicales au moment où la décision doit être prise. C’est le médecin qui porte la responsabilité de la décision.
Leonetti demande une évolution de sa loi
La France pourrait, là aussi, bientôt s’inspirer de l’Allemagne. Dans ce pays, la loi permet au patient (pour le cas où il ne serait pas en mesure de l’exprimer) de prévoir par écrit les traitements qu’il autorise et ceux qu’il refuse à un moment où aucun traitement ou intervention n’est envisagé. Sur le fondement de cet écrit, un assistant (ou un mandataire) du malade est chargé de vérifier, lorsque celui-ci n’est plus en état d’exprimer sa volonté, si les dispositions qu’il a prises correspondent à ses conditions actuelles de vie et de traitement.
Le moment venu, si la disposition que le malade a prise ne correspond pas à ses conditions de vie et de traitement, c’est à l’assistant de décider. Ainsi, lorsque les souhaits manifestés sont par trop éloignés des circonstances réellement vécues par la personne malade, les directives anticipées perdent leur caractère contraignant. On passe à une autre étape: c’est l’analyse de la volonté présumée de la personne qui prend le relais. La loi allemande dispose aussi que les souhaits du patient doivent être recherchés à partir de données concrètes telles que les déclarations écrites ou orales qu’il a pu faire ou ses convictions éthiques ou religieuses.
Interrogé sur l’affaire Vincent Lambert, le Dr Jean Leonetti a reconnu que la loi qui porte son nom gagnerait à être améliorée en s’inspirant du modèle allemand. Parallèlement à la question du suicide médicalement assisté, la situation française pourrait rapidement évoluer.
Le Comité national d’éthique estime que les pouvoirs publics «doivent engager une nouvelle étape en faveur de cet outil important que peuvent être les directives anticipées». Désormais présidé par Jean-Claude Ameisen, ce même Comité a été chargé par François Hollande de remettre l’ouvrage «fin de vie» sur le métier et de rendre un nouveau rapport avant la fin février.
Jean-Yves Nau
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