Le Téléthon dans les impasses de la génétique
L’entretien accordé il y a quelques jours à Libération par Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’opération Téléthon, témoigne de l’embarras croissant des responsables de cette manifestation, une entreprise annuelle et atypique dans le paysage caritatif national.
Un embarras qui tient à la distorsion grandissante entre les espoirs affichés et les sommes recueillies d’une part, et les réalisations thérapeutiques concrètes issues des recherches financées par l’argent de la charité publique de l’autre.
Sur la sellette: la thérapie génique. Ce qui était un eldorado il y a une vingtaine d’années s’est progressivement dissipé dans les sables de la réalité. Si le décryptage des gènes humains continue de faire de considérables progrès, la correction, via les gènes, des pathologies apparaît comme une entreprise d’une extraordinaire complexité. Ce constat commence également à valoir pour les cellules souches, cet autre eldorado en souffrance.
C’est à cette réalité que sont confrontés les responsables du Téléthon. Et c’est à cette impasse qu’ils devront durablement faire face s’ils ne font pas le choix de modifier leur stratégie.
Un pari consubstantiel à la manifestation
Le pari sur la recherche en génétique est consubstantiel de la déclinaison française du Téléthon, qui a vu le jour en 1987 alors que l’on venait de découvrir le gène responsable de la myopathie de Duchenne. Depuis un quart de siècle, elle accompagne, se nourrit et aide pour partie au financement des avancées de la recherche en génétique appliquée, pour l’essentiel dans le domaine des myopathies.
Dans la livraison d’octobre du mensuel spécialisé franco-québécois Médecine/Sciences, le généticien Bertrand Jordan fournit un témoignage précieux, rappelant le pari fait il y a plus de vingt ans avec Bernard Barataud, alors président hyperactif de l’Association française contre les myopathies (AFM). Le Pr Jordan se souvient de «sa gêne devant la manière dont l’AFM faisait de la thérapie génique son principal cheval de bataille».
«Comme l’écrivait en 2011 le New York Times, la thérapie génique est “une technique qui a presque systématiquement échoué pendant vingt ans”, écrit Bertrand Jordan. Rétrospectivement, il est clair que des impératifs médiatiques et commerciaux ont joué un grand rôle dans cette précipitation néfaste».
Il observe toutefois qu’ici ou là, quelques timides espoirs peuvent être raisonnablement nourris. L’erreur serait de se servir des quelques essais cliniques encore en cours pour persévérer dans un enthousiasme qui n’est décidément plus de mise.
Affichage volontariste et volontiers scientiste
C’est à cette difficulté fondamentale que sont confrontés les propriétaires de la marque Téléthon et, incidemment, les diffuseurs de la manifestation. Vont-ils persévérer dans cet affichage volontariste et volontiers scientiste? Vont-ils au contraire infléchir leur action vers une aide concrète aux jeunes malades myopathes, voire à d’autres également victimes d’affections génétiques?
Dans son entretien à Libération, Laurence Tiennot-Herment justifie le choix de consacrer une fraction des sommes recueillies au financement des travaux de thérapie génique tout en reconnaissant que la recherche en génétique moléculaire peine à mettre au point des traitements efficaces.
Elle souligne que «les avancées sont continuelles» et annonce que «cette année seront présents sur le plateau du Téléthon des malades qui ont été inclus dans des essais de thérapie génique». Depuis onze ans, soixante enfants ont été inclus dans de tels essais.
Laurence Tiennot-Herment souligne les difficultés et les lenteurs de ces essais et justifie ainsi la construction de l’entité Généthon Bioprod «pour aller le plus vite possible sur la mise sur le marché». Cette entreprise a le statut d’industrie pharmaceutique et son plan stratégique prévoit pour 2017 la production de son premier médicament sur un gène que l’on espère actif dans le traitement d’un déficit immunitaire. Les géants de l’industrie pharmaceutique, eux, ne manifestent plus guère leur intérêt pour ce secteur de développement.
Il ne peut pas ne pas générer des critiques
Au final, dans la tempête économique, le Téléthon reste un monument caritatif tricolore et identitaire, qu’on y voie une manifestation morbide ou, comme le généticien Axel Kahn, «une fête populaire et pas populiste». Mais cette entreprise privée de spectacle diffusée pendant deux jours sur France Télévisons ne peut pas ne pas générer des critiques.
Le temps n’est plus, comme l’avait fait l’homme d’affaires Pierre Bergé en 2009, à s’attaquer violemment à une manifestation qui «parasite la générosité des Français». Il n’est plus, comme l’avaient fait ensuite quelques extrémistes catholiques, à en appeler au boycott de cette manifestation, au motif que des recherches ainsi financées sont menées sur des cellules issues d’embryons humains détruits à cette fin. Mais il est toujours à s’interroger sur la capacité de ses propriétaires à optimiser la gestion des sommes récoltées.
Jean-Yves Nau
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