Les souris gestantes devraient lever le pied sur le café
Nous connaissons tous le syndrome d’alcoolisme fœtal. Nul ne peut en revanche dire ce qu’il en est de la nocivité des consommations réduites et épisodiques de boissons alcooliques par la femme enceinte. Qu’en est-il du café? Telle est la problématique dans laquelle s’inscrit le travail d’une équipe de l’Inserm qui vient de donner matière à une publication dans la revue Science Translational Medicine, datée du 7 août. «La caféine est la substance psychoactive la plus consommée au monde, y compris pendant la grossesse» rappelle Christophe Bernard, directeur de recherche Inserm (Institut de Neurosciences des Systèmes/Université Aix Marseille). Il vient de décrire pour la première fois quelques-uns des effets néfastes de la consommation de café par des souris femelles gestantes sur les cerveaux de leur descendance.
Une question, pas de réponse
«Ces chercheurs révèlent que la caféine affecte le cerveau en développement, entraînant chez la progéniture une plus grande sensibilité aux crises d’épilepsie et des problèmes de mémoire, souligne l’Inserm. Bien qu’ayant recours à un modèle animal, pose la question des conséquences de la consommation de caféine par la femme enceinte». C’est bien là tout le problème: elle soulève une question a priori nullement négligeable en termes de santé publique. Elle «soulève la question» mais n’y apporte aucune réponse.
Le cadre de cette recherche est bien connu: de nombreuses substances agissent directement sur le fonctionnement du cerveau, en modifiant l’activité des neurones. C’est notamment le cas des antidépresseurs, des anxiolytiques, de la nicotine, de l’alcool et des drogues récréatives comme le cannabis, l’héroïne, la cocaïne etc. Ces substances, «psycho-actives» se fixent sur des molécules situées dans les cellules cérébrales et modifient ainsi leur activité.
Consommées pendant la grossesse ces substances psycho-actives modifient-elles la construction du cerveau du fœtus? On peut raisonnablement le supposer: les molécules sur lesquelles elles se fixent jouent un rôle clé dans le développement cérébral. C’est précisément la raison pour laquelle la consommation de certaines de ces substances est aujourd’hui fortement déconseillée pendant la grossesse. Faut-il ajouter le café à la liste de ces substances? Si oui comment le démontrer?
Un effet sur le cerveau en construction des bébés souris
Les chercheurs l’équipe de Christophe Bernard ont choisi de travailler sur la souris de laboratoire. Partant ils savaient qu’en toute hypothèse ils ne pourraient extrapoler à l’espèce humaine. Ils ont reproduit chez des femelles gestantes (la gestation dure une vingtaine de jour chez ces mammifères) une consommation de café régulière équivalente de 2-3 cafés par jour chez la femme. En pratique ils ont ajouté de la caféine à l’eau de boisson des rongeurs et ce depuis la fécondation jusqu’au sevrage.
«Les bébés souris étaient beaucoup plus sensibles aux crises d’épilepsie et, une fois devenues adultes, nous avons observé qu’elles présentaient d’importants problèmes de mémoire spatiale, c’est-à-dire des difficultés à se repérer dans leur environnement» commente Christophe Bernard, principal auteur de l’étude.
Cette équipe de recherche est allées plus loin: elle annonce être parvenue à identifier le mécanisme par lequel la caféine affecte les cerveaux murins en construction. Il faut ici savoir que pendant le développement cérébral certaines cellules migrent vers les régions dans lesquelles elles sont destinées à fonctionner. C’est tout particulièrement vrai de certains neurones qui libèrent le GABA – un des principaux médiateurs chimiques du cerveau. Ces neurones migrent notamment vers l’hippocampe, une région cérébrale impliquée dans les processus de mémorisation.
Faire peur
Or les chercheurs observent que chez la souris la caféine va directement influencer la migration de ces neurones. Le principe actif du petit noir vas se fixer sur un récepteur particulier de ces neurones (dénommé A2AR). Ce faisant il ralentit leur vitesse de déplacement. On observe ici ce qu’il peut en être. «Ces cellules arrivent alors plus tard que prévu à l’endroit où elles étaient destinées à s’établir, expliquent les chercheurs. Ce retard de migration va se répercuter tout au long du développement et entrainer des effets néfastes sur le cerveau des souris à la naissance (excitabilité cellulaire et sensibilité aux crises d’épilepsie) et à l’âge adulte (perte de neurones et problèmes de mémoire).»
Et maintenant? Les chercheurs suggèrent de développer dans l’espèce humaine des études longitudinales pour évaluer, à court et surtout à long terme, les conséquences de la caféine chez les nouveau-nés. Ces études devraient porter sur les nouveau-nés exposés à la caféine pendant la grossesse et/ou pendant l’allaitement. Elles devraient également porter sur les nouveau-nés qui, victimes de «l’apnée du nourrisson» ont été traité avec du de citrate de caféine.
«L’ensemble de ces données permettraient aux cliniciens d’affiner les recommandations élaborées à l’intention des femmes enceintes» estime Christophe Bernard. Ce chercheur fait valoir être le premier à démontrer l’existence d’effets néfastes de l’exposition à la caféine sur le cerveau en développement. Dans le même temps il se garde d’aller trop loin: «Ces résultats posent la question de la consommation de café chez la femme enceinte mais il est nécessaire de rappeler la difficulté, liée à l’utilisation de modèles animaux, d’extrapoler ces résultats à la population humaine sans prendre en compte les différences de développement et de maturation entre les espèces.»
En clair cette étude ne démontre que la nocivité de la consommation de caféine par des souris gestantes et/ou allaitantes. Fallait-il la mener? Anticipant ces résultats les recommandations officielles le Programme national nutrition santé (PNNS) français recommande aux femmes enceintes de «modérer la caféine» et de ne pas dépasser «trois tasses de café par jour». Faut-il passer à deux? Aujourd’hui les chiffres officiels établissent qu’en France une femme enceinte sur quatre fume du tabac. Relayée par le PNNS la toxicité de ce dernier ne fait ici aucun doute: «fausses couches, morts fœtales in utero, complications placentaires, prématurité et retard de croissance intra-utérine, diminution de la fertilité et augmentation des risques de grossesses extra-utérines».
Jean-Yves Nau
Partagez sur