Pourquoi «t’as l’air fatigué» est une insulte
Un chaleureux bonjour de la part de la brigade «Ne fliquons pas les expressions faciales»: nous sommes de retour. Cette fois, nous aimerions traiter de la remarque assez souvent adressée aux hommes et aux femmes, souvent pendant des instants de vulnérabilité: «Tu as l’air fatigué».
Même avec les meilleures intentions, cette affirmation ne vous mènera jamais à rien. Plus que de montrer que vous vous faites du souci pour quelqu’un, elle donne surtout un sentiment de condescendance. Que cela soit ou non le cas, cela sous-entend que la personne qui a «l’air fatigué» n’est pas dans son assiette, que sa lassitude palpable l’éloigne du troupeau joyeux et éclatant, que ce qu’elle est en train de faire n’est probablement «pas son meilleur boulot» parce qu’elle ne «donne pas tout» parce qu’elle préférerait être dans son lit.
Urban Dictionnary [site expliquant le sens d’expressions plus ou moins familières anglaises et américaines], présageant l’argument scientifique que cet article est sur le point de développer, passe un peu rapidement sur ce morceau de sollicitude désagréable comme «une forme politiquement correcte de dire que tu ne ressembles à rien».
Comme James Hamblin de The Atlantic le rapportait mercredi 4 septembre, des chercheurs de l’Université de Stockholm ont confirmé ce que l’on savait déjà: les personnes manquant de sommeil sont perçues comme moins attirantes, en moins bonne santé et plus tristes que celles qui ont savouré les huit heures tant convoitées.
Les scientifiques dirigés par John Axelsson et Tina Sundelin ont photographié 23 adultes en bonne santé, une fois après une nuit complète de sommeil et une autre après 31 heures d’éveil. Ils ont ensuite demandé à 65 «observateurs non-entraînés» de noter ces photos sur des échelles de lassitude, d’abattement, et de dix mesures de beauté physique.
Sans surprise, les participants fatigués ont été perçus comme ayant «les paupières lourdes, les yeux plus rouges, plus gonflés et des cernes plus sombres en-dessous des yeux». Les sujets manquant de sommeil ont également été perçus comme «étant plus tristes et ayant la peau plus pâle, plus de rides ou les traits tirés, mais également plus de pattes d’oies au coin de la bouche», écrit Hamblin. Il s’interroge, notant notre sensibilité à l’évidente fatigue des autres, si une telle réceptivité trahit une empathie innée (pauvre personne fatiguée!) ou un machiavélique don pour «exploiter les faiblesses» (la proie facile).
C’est ce que je me demande aussi, quand quelqu’un que je connais à peine m’informe que j’ai éveillé l’attention de son détecteur de «personne fatiguée». Exprime-t-elle une inquiétude sincère ou même simplement polie pour mon bien-être, ou exulte-elle dans une poussée primitive qui date de la nuit des temps du fait que je ne peux pas m’échapper assez rapidement?
Quand j’ai décidé une nuit de cette semaine de remonter prendre un taxi après avoir attendu le métro pendant 25 minutes, le conducteur approuvait-il courtoisement mon idiote dépense en me disant à quel point j’avais l’air claqué? Ou me traitait-il grossièrement comme une fleur fanée? Ou me laissait-il simplement savoir objectivement de quoi j’avais l’air?
Est-ce que certains pensent que c’est un service de nous informer de l’image que nous renvoyons à un moment donné, de manière à ce que nous corrigions la situation de nous-mêmes si nous paraissons trop maussades ou indifférent?
«Les gens sont capables de repérer les signaux faciaux du manque de sommeil, et ces signaux modifient les jugements sur la santé de l’autre et son attractivité», écrivent les chercheurs. Heureusement, «Tu as l’air fatigué» n’est pas juste une façon insidieuse de faire tendre notre apparence vers un idéal enjoué et esthétiquement plaisant
Ce travail de la police sociale est vraiment… fatiguant.
Katy Waldman
Traduit par Laszlo Perelstein
Partagez sur