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Oui, l’air est pollué. Surtout par la cigarette

S’intéresser à la santé publique réclame de ne pas trop malmener les statistiques. C’est tout particulièrement vrai quand il s’agit d’empoisonnements. Les chiffres rendus publics le 17 octobre par le Centre  international de recherche sur le cancer (Circ) ne sont pas de ceux avec lesquels on peut plaisanter. La pollution atmosphérique tue. Et elle tue désormais suffisamment pour que cette agence de l’OMS choisisse de qualifier de «cancérogène certain» la pollution atmosphérique. On trouvera ici le résumé des conclusions officielles du Circ.

Ses responsables ont expliqué avoir pris cette décision au terme de l’analyse faite par ses experts de l’ensemble de la littérature scientifique disponible. Ils ont aussi souligné espérer que la publicité faire autour de cette décision aurait des conséquences en terme de prise de conscience par les populations et les responsables politiques. On espère que leurs souhaits seront exhaussés. A condition toutefois de bien hiérarchiser l’ordre des accusés.

A condition de faire en sorte que le concept d’ «air pollué» ne soit pas le rideau de fumée masquant la responsabilité des fabricants de produits dérivés du tabac. Responsabilité des multinationales de Big Tobacco mais aussi  de l’ensemble des politiques qui, informés de la situation sanitaire, ne mettent pas tout en œuvre pour inverser les tendances de consommation de cette drogue légale, légale parce que hautement fiscalisée.

La décision du Circ fait donc que la «pollution atmosphérique» rejoint dans la colonne des «cancérogènes certains»  les «particules fines» et les émanations des moteurs tournant au diesel.  Les coupables sont connus: les gaz d’échappement des automobiles, les activités industrielles et les travaux agricoles mécanisés. Sans oublier  la production d’énergie au sens large et les différentes formes de chauffage.

Pour le Circ, la pollution atmosphérique augmente les risques d’un large éventail de maladies, comme les maladies respiratoires et cardiaques. Il précise que ces dernières années, les niveaux d’exposition ont  considérablement augmenté dans certaines parties du monde, notamment dans les pays très peuplés et en voie d’industrialisation rapide. «L’air que nous respirons est aujourd’hui devenu pollué par un mélange de substances cancérogènes, a expliqué le Dr Kurt Straif, chef de la section des monographies du Circ. Nous savons maintenant que la pollution de l’air extérieur n’est pas seulement un risque majeur pour la santé en général, mais aussi l’une des premières causes environnementales de décès par cancer.»

Principal organe exposé, le poumon est ici tout particulièrement intéressant. Selon les experts de l’OMS, 223.000 personnes seraient mortes prématurément en 2010 d’un cancer du poumon imputable à l’inhalation de substances toxiques contenues dans l’air ambiant. Mais Christopher Wild, directeur du CIRC a aussi expliqué que seuls 10%  des cancers diagnostiqués chaque année dans le monde sont liés à des causes comme la pollution de l’air.

On peut dire ceci autrement: dans le monde, 80% des 1,4 million de morts prématurés annuels par cancer du poumon sont dus à l’inhalation de la fumée de cigarettes. Cette même inhalation est également impliquée pour une large part dans les décès prématurés causés par d’autres maladies respiratoires (asthme, broncho-pneumopathies chroniques obstructives) et de nombreuses maladies cardiovasculaires. Soit en France, un total de plus de 200 morts par jour. Les autres cancers pulmonaires (20%) sont causés par la pollution particulaire atmosphérique et par les émanations de radon un gaz naturel et radioactif.

Comment comprendre un tel décalage entre la présentation des chiffres du Circ et la réalité épidémiologique du tabagisme? Pourquoi  la consommation/inhalation (individuelle) de tabac n’est-elle pas classée dans la catégorie des pollutions atmosphériques collectives? Faut-il faire une différence entre une pollution «voulue» (et autorisée) et une autre qui serait subie? Y aurait-il, ce que l’on ose imaginer, des intérêts croisés entre le Circ et Big Tobacco?

Interrogé par Slate.fr, le porte-parole du Circ confirme cette présentation épidémiologique. Il précise même qu’en Europe «le risque de cancer pulmonaire associé à la pollution atmosphérique est comparable à celui qui est associé au tabagisme passif ». Il ajoute aussi que le groupe de travail réuni sur cette question a tenu à modifier le titre de sa réunion. C’est ainsi qu’«“Ambient air pollution” est devenue “Outdoor air pollution« . »

«Pour le directeur du Circ, explique-t-il, il s’agissait avant tout de mettre l’accent sur l’action collective internationale qui est indispensable si l’on veut faire évoluer cette situation dans le bon sens.  D’où son appel. Quant au tabac et à la lutte contre le tabagisme, cela demeure éminemment d’actualité, comme toujours. Il est  nécessaire de distinguer ces différents éléments, et replacer dans leur contexte les parts respectives du tabac, de la pollution atmosphérique (moteurs Diesel, chauffage au charbon et aux autres énergies fossiles, industries diverses etc.), notamment dans les pays émergents. »

Message reçu. Mais on peut aussi soutenir que si le Circ associait à son analyse l’impact délétère majeur de la pollution atmosphérique due à la consommation de tabac, les impacts sanitaires et politiques de son action en seraient décuplés. Et l’agenda des gouvernements pourrait s’en trouver modifié, à commencer de la question, toujours politiquement pendante, de la cigarette électronique. Une cigarette qui, elle, ne souille en rien l’air que nous respirons.

Jean-Yves Nau

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Pourquoi «t’as l’air fatigué» est une insulte

Un chaleureux bonjour de la part de la brigade «Ne fliquons pas les expressions faciales»: nous sommes de retour. Cette fois, nous aimerions traiter de la remarque assez souvent adressée aux hommes et aux femmes, souvent pendant des instants de vulnérabilité: «Tu as l’air fatigué».

Même avec les meilleures intentions, cette affirmation ne vous mènera jamais à rien. Plus que de montrer que vous vous faites du souci pour quelqu’un, elle donne surtout un sentiment de condescendance. Que cela soit ou non le cas, cela sous-entend que la personne qui a «l’air fatigué» n’est pas dans son assiette, que sa lassitude palpable l’éloigne du troupeau joyeux et éclatant, que ce qu’elle est en train de faire n’est probablement «pas son meilleur boulot» parce qu’elle ne «donne pas tout» parce qu’elle préférerait être dans son lit.

Urban Dictionnary [site expliquant le sens d’expressions plus ou moins familières anglaises et américaines], présageant l’argument scientifique que cet article est sur le point de développer, passe un peu rapidement sur ce morceau de sollicitude désagréable comme «une forme politiquement correcte de dire que tu ne ressembles à rien».

Comme James Hamblin de The Atlantic le rapportait mercredi 4 septembre, des chercheurs de l’Université de Stockholm ont confirmé ce que l’on savait déjà: les personnes manquant de sommeil sont perçues comme moins attirantes, en moins bonne santé et plus tristes que celles qui ont savouré les huit heures tant convoitées.

Les scientifiques dirigés par John Axelsson et Tina Sundelin ont photographié 23 adultes en bonne santé, une fois après une nuit complète de sommeil et une autre après 31 heures d’éveil. Ils ont ensuite demandé à 65 «observateurs non-entraînés» de noter ces photos sur des échelles de lassitude, d’abattement, et de dix mesures de beauté physique.

Sans surprise, les participants fatigués ont été perçus comme ayant «les paupières lourdes, les yeux plus rouges, plus gonflés et des cernes plus sombres en-dessous des yeux». Les sujets manquant de sommeil ont également été perçus comme «étant plus tristes et ayant la peau plus pâle, plus de rides ou les traits tirés, mais également plus de pattes d’oies au coin de la bouche», écrit Hamblin. Il s’interroge, notant notre sensibilité à l’évidente fatigue des autres, si une telle réceptivité trahit une empathie innée (pauvre personne fatiguée!) ou un machiavélique don pour «exploiter les faiblesses» (la proie facile).

C’est ce que je me demande aussi, quand quelqu’un que je connais à peine m’informe que j’ai éveillé l’attention de son détecteur de «personne fatiguée». Exprime-t-elle une inquiétude sincère ou même simplement polie pour mon bien-être, ou exulte-elle dans une poussée primitive qui date de la nuit des temps du fait que je ne peux pas m’échapper assez rapidement?

Quand j’ai décidé une nuit de cette semaine de remonter prendre un taxi après avoir attendu le métro pendant 25 minutes, le conducteur approuvait-il courtoisement mon idiote dépense en me disant à quel point j’avais l’air claqué? Ou me traitait-il grossièrement comme une fleur fanée? Ou me laissait-il simplement savoir objectivement de quoi j’avais l’air?

Est-ce que certains pensent que c’est un service de nous informer de l’image que nous renvoyons à un moment donné, de manière à ce que nous corrigions la situation de nous-mêmes si nous paraissons trop maussades ou indifférent?

«Les gens sont capables de repérer les signaux faciaux du manque de sommeil, et ces signaux modifient les jugements sur la santé de l’autre et son attractivité», écrivent les chercheurs. Heureusement, «Tu as l’air fatigué» n’est pas juste une façon insidieuse de faire tendre notre apparence vers un idéal enjoué et esthétiquement plaisant

Ce travail de la police sociale est vraiment… fatiguant.

Katy Waldman

Traduit par Laszlo Perelstein

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