Une hormone sexuelle va-t-elle mettre fin à la dépendance au cannabis?
Retenez bien ce nom: prégnénolone. C’était jusqu’ici la molécule naturelle à partir de laquelle l’organisme fabriquait toutes ses hormones stéroïdiennes —au premier rang desquelles les sexuelles comme la progestérone (hormone femelle) et la testostérone (chez les mâles).
Ce sera peut-être également, demain, la piste qui mènera à la découverte de médicaments aidant à lutter contre les effets toxiques du cannabis sur le cerveau des jeunes consommateurs une fois qu’ils sont devenus dépendants et victimes de leur addiction.
Telle est la conclusion encourageante que l’on peut tirer d’une découverte que viennent de faire des chercheurs français, néozélandais et américains, dirigés par Pier Vincenzo Piazza et Giovanni Marsicano (Institut national de la santé et de la recherche médicale, unité «Neurocentre Magendie», Bordeaux), et dont les conclusions sont publiées par la revue Science.
Hasard du calendrier, elle coïncide avec la libéralisation de la consommation du cannabis en Uruguay et dans l’Etat du Colorado, tandis que certains continuent, en France, à militer en faveur de cette possibilité.
Mécanisme naturel de défense
De nombreuses équipes scientifiques spécialisées cherchent, à travers le monde, à identifier des molécules et les processus moléculaires qui permettraient de contrecarrer les effets cérébraux toxiques du cannabis et de la dépendance que sa consommation peut engendrer. Cette compétition s’accroît avec la progression mondiale de la consommation, qui concerne plus de 20 millions de personnes dans le monde et un peu plus d’un demi-million en France, et de ses conséquences sanitaires. Elle est devenue, ces dernières années, l’un des premiers motifs de consultation dans les centres spécialisés dans le soin des addictions.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la publication de Science. Les équipes de Pier Vincenzo Piazza et Giovanni Marsicano démontrent, chez l’animal, que la prégnénolone constitue un mécanisme naturel de défense contre les effets cérébraux délétères du cannabis.
Les chercheurs établissent que la sur-activation de récepteurs cellulaires par de fortes doses du principe actif du cannabis (le Δ-9-tétrahydrocannabinol ou THC) déclenche la synthèse de prégnénolone. Cette molécule se fixe alors sur les mêmes récepteurs et diminue certains des effets du THC.
Forts de cette observation, les chercheurs ont administré de la prégnénolone à des rongeurs de laboratoire. Cette administration (à raison de 2 à 6 mg/kg) augmente nettement les concentrations cérébrales naturelles de cette hormone, ce qui permet ainsi de bloquer les effets néfastes du cannabis. Devenus malades du fait du cannabis, les animaux ainsi traités récupèrent des capacités mnésiques normales, sont plus vifs et moins motivés pour s’auto-administrer des cannabinoïdes.
D’autres phénomènes moléculaires observés au sein des tissus neuronaux sous l’effet de la prégnénolone laissent penser que cette molécule peut protéger contre l’installation de comportements d’addiction.
«Rétrocontrôle négatif»
Plus généralement, il apparaît qu’existe au sein de notre cerveau un phénomène moléculaire (jusqu’ici inconnu) de «rétrocontrôle négatif»: c’est le THC lui-même qui déclenche la production de prégnénolone qui, à son tour, inhibe les effets du THC. Ce phénomène protège ainsi le cerveau d’une suractivation des récepteurs au cannabis. Tout se passe comme si l’organisme disposait d’un système moléculaire protégeant contre une appétence trop grande pour les plaisirs induits par le cannabis.
Ce phénomène semble d’autre part spécifique à cette drogue, comme l’ont montré des expériences effectuées sur des rats qui ont été soumis à des doses équivalentes de cocaïne, de morphine, de nicotine, d’alcool et de cannabis.
Ces résultats sont encourageants d’un point de vue médical. Pour autant, Pier Vincenzo Piazza met en garde contre une utilisation thérapeutique directe de la prégnénolone. «Cette molécule est disponible sur Internet, non pas en tant que médicament mais comme ‘’complément alimentaire’’. Je tiens à prévenir les personnes qui pourraient être intéressées que sa consommation est totalement inefficace vis-à-vis de la toxicité du cannabis, a-t-il déclaré à Slate.fr. Elle est en effet mal absorbée et rapidement métabolisée par l’organisme.» Dont acte.
«Pour autant, poursuit ce psychiatre spécialiste des addictions, nous développons des dérivés de la prégnénolone qui sont stables et bien absorbés et qui pourront être utilisés comme des médicaments. Nous espérons commencer prochainement les essais cliniques. Et nous pourrons alors vérifier si nos attentes se confirment et si nous avons véritablement découvert la première thérapie pharmacologique de la dépendance au cannabis.»
Pour le Pr Piazza, ces médicaments pourraient notamment être prescrits aux consommateurs réguliers les plus jeunes (30% des 16-24 ans consomment du cannabis), qui présentent de premiers troubles de mémoire ou comportementaux.
Jean-Yves Nau
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